Trend Lightly
 mins de lecture

Trend Lightly : Quels risques prennent les marques quand leurs initiatives en faveur de la diversité ne sont pas sincères ?

21/3/2020
Trend Lightly : Quels risques prennent les marques quand leurs initiatives en faveur de la diversité ne sont pas sincères ?

« Ne faites pas du Benetton », ai-je entendu un jour sur un plateau à propos d'un projet éditorial auquel je participais et qui mettait en avant la communauté LGBTQIA+. « Faire du Bennetton  » (ou Benetton-ing en anglais) est un terme négatif désormais utilisé pour dénoncer un soutien en apparence sans faille, mais non-authentique à certaines minorités. Il faut se prémunir de l'envie de « faire du Bennetton », c'est-à-dire de devenir une marque qui exploite les messages autour de la pauvreté ou l'égalité raciale, mais qui n'a, en réalité, aucune intention de changer quoi que ce soit à ces problèmes. 

Avertissement intéressant à plusieurs titres. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, lorsque Benetton a fait son entrée dans le monde de la publicité, leurs campagnes étaient pour le moins controversées. Quelques-unes en particulier avaient une valeur sensationnelle importante, mettant principalement en scène des personnes et des bébés atteints du SIDA. Certaines autres montraient des couples mixtes de différentes couleurs de peau et origines ethniques. Si vous tapez « publicités Benetton » dans Google, vous trouverez toutes ces images. En dépit des plaintes et des tollés, on peut accorder à Benetton un certain volontarisme à l'heure de représenter les minorités et de faire bouger les lignes. À l'époque, la diversité raciale des mannequins ne faisait guère partie des préoccupations principales du marketing de masse dans le monde de la mode. En fait, les marques veillaient plutôt à ce que la majorité, si ce n'est l'intégralité des mannequins, soient blancs. 

Quand on analyse l'histoire du marketing de la marque, si Benetton a fait l'objet de tant de critiques, c’est qu'en tant qu'entreprise, ses politiques éthiques étaient assez discutables : vol de terres à des tribus autochtones, liens avec des usines peu enclines au bien-être et à la sécurité des travailleurs, et surtout le fait d’avoir dissimulé tout cela.

L'exemple de Benetton est édifiant, et le grand public est de moins en moins tolérant envers les entreprises adeptes du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Un engagement non-authentique envers les minorités est un jeu dangereux. Bien que toute stratégie marketing intelligente se doit de cibler des groupes spécifiques, le manque de sincérité est problématique et risque de causer un retour de bâton assez violent, qui peut notamment prendre la forme d’un appel au boycott, si typique de la cancel culture.

La diversité est un sujet incontournable dans tous les secteurs. L'accès à l'information et à l'éducation étant plus aujourd'hui facilité, nous pouvons clairement voir les façons insidieuses dont le racisme est à l'œuvre, entretenant des systèmes de privilèges et maintenant certaines personnes à l'écart de la société. Élire un président noir à la tête des États-Unis n'a pas suffi à rétablir la situation ; l'industrie carcérale américaine compte toujours un nombre disproportionné de citoyens noirs derrière les barreaux par exemple.

Pourtant, en théorie, les minorités n'ont jamais eu autant de chance de gravir les échelons. Le revenu disponible de la communauté noire (et d'autres communautés) n'a jamais été aussi important, et les occasions de dépenser ce revenu sont nombreuses, mais en raison du facteur d'éducation susmentionné, nous sommes des consommateurs plus informés et plus scrupuleux que jamais. 

Et il n'y a rien de pire en tant que consommateurs que de se découvrir la cible de marketeurs faussement désintéressées. Bien sûr, nous vivons dans une société commerciale, mais même dans un monde où le capitalisme est roi, certaines lignes ne peuvent pas être franchies. Outre la représentation des minorités dans des campagnes publicitaires, les consommateurs avertis ne supportent pas de voir une fille noire, une fille asiatique et une fille rousse placardées dans les vitrines d'un magasin, ou affichées à Times Square, alors que tous les vendeurs dudit magasin sont blancs. Les consommateurs ont besoin de savoir à quoi ressemble la direction. Ils ont besoin de savoir que des personnes qui leur ressemblent sont employées et qu’ils ne sont pas simplement une part de marché utile et potentiellement lucrative.

Il est évidemment essentiel que la publicité se saisisse de cet enjeu, mais il faut aussi que la direction des entreprises soit le reflet authentique de cette inclusion si ces entreprises se prétendent « engagées en faveur de diversité ». On remarque un phénomène similaire lorsque des marques de niche ou indépendantes sont achetées par d'énormes groupes comme Estee Lauder. Elles perdent en crédibilité auprès des consommateurs. Bien sûr, ce rachat permet d’investir davantage d'argent dans l’entreprise et offre une formidable opportunité de croissance, mais aux yeux du public, ce ne sont plus les mêmes personnes qui prennent désormais les décisions importantes.

Encore la semaine dernière, j'ai vu deux exemples d'erreurs commises par des marques qui n'avaient clairement pas donné à leurs employés dans toute leur diversité la possibilité de s'exprimer, et le problème a pris des proportions délirantes. À chaque fois qu'un problème lié à l'insensibilité raciale éclot, tout le monde proteste : « mais comment une chose pareille a-t-elle pu arriver ? Pourquoi personne n'a empêché cela ? » La réponse est simple. Parce qu'il n'y avait personne pour l'empêcher. En effet, les différents groupes décideurs ayant validé ces images et ces campagnes, puisqu'ils sont intégralement composés de personnes blanches, ne voyaient aucune raison de s'alarmer. Ils ne se sont pas sentis offensés, ni même concernés. Dans certains cas, ils se sont peut-être même félicités pour leur excellent travail.

Par exemple, un matin, j'ai reçu un e-mail du service de presse de Tommy Hilfiger ayant pour objet une nouvelle « initiative en faveur de l'inclusion » sur laquelle la marque travaillait. L'objectif de ce projet était d'améliorer la visibilité des minorités, sous-représentées dans l'industrie de la mode. Tommy Hilfiger était cité dans le communiqué de presse, fier et heureux d'être associé à ce projet. Le concours devait avoir lieu à Amsterdam, qui déjà est une destination prohibitive à bien des égards, mais ce n'est même pas le pire. L'e-mail était accompagné d'une photo des membres du jury qui étaient chargés de sélectionner les gagnants de ce « défi mode » visant à favoriser l'inclusion. Tous les membres du jury étaient blancs, sauf un. C'est ce que j'appelle une initiative promotionnelle hors sujet et ostensiblement opportuniste. Le projet lui-même n'apporte rien, la marque se donne bonne conscience en utilisant un jargon d'usage stratégique à consonance positive, mais en réalité, elle réduit au silence et exclut les communautés-mêmes qu'elle prétend vouloir aider.

Le deuxième exemple que j'ai relevé concerne la marque The Real Real, qui m'a envoyé un e-mail disant qu'elle organisait un « débat sur l'histoire des Noirs » dans son magasin de Soho, avec notamment la directrice mode noire de Vanity Fair et un jeune designer prometteur qui a remporté la bourse Vogue Fashion Fund l'année dernière. La modératrice du débat était une femme blanche. Le fait que cette marque ait choisi de confier l'animation d'un débat sur l'histoire des Noirs à une personne blanche est extrêmement choquant et est encore une preuve évidente qu'aucune personne noire n’a été impliquée dans l'organisation de cet événement, car elle n’aurait pas commis cette erreur. En 2020, c'est inacceptable.

Lorsqu'une marque veut passer un message au public, elle doit à tout prix s'assurer que le message en question peut résister à plusieurs types de contrôle et qu’il va bien au-delà d'un engagement de façade. Il est essentiel que le marketing et la publicité soient le reflet de la diversité mondiale, car ce sont les personnes issues de cette diversité qui consomment les produits, et il est impératif de s'assurer que toutes les voix sont entendues même là où personne ne regarde. Souvent, cela nécessite une refonte majeure de la culture d'entreprise. Cela demande beaucoup d'humilité, une certaine ouverture d'esprit et cela exige de faire confiance à des personnes qui n'ont pas les mêmes expériences que celles actuellement en place. C'est un travail extrêmement difficile.

Nombreuses sont les entreprises du secteur de la beauté qui citent « l'effet Fenty » comme s'il s'agissait d'une sorte de phénomène mystérieux. Les marketeurs ne comprennent pas : pourquoi la société de cosmétiques de Rihanna vend à tour de bras, alors que leur marque à eux aussi propose plus de 40 nuances de fond de teint ? La différence, c'est que Rihanna a mis les femmes de couleur au premier plan. Elle s'est adressée directement à ses consommatrices, tandis que les marques de maquillage plus traditionnelles avaient plutôt tendance à attendre que les femmes de couleur découvrent d'elles-mêmes la nuance qui leur fallait en cherchant, en essayant, en se trompant. Rihanna a simplement solutionné un problème qu'elle avait elle-même connu ; un exemple qui vient renforcer encore davantage mon intime conviction que le fait d'avoir de la diversité à des postes de direction est essentiel. En effet, ce sont ces personnes qui prendront des décisions cruciales sur la façon dont les produits sont commercialisés, mais aussi sur la façon dont ils sont fabriqués.

Afin de tendre vers une société plus égalitaire, les personnes dans toute leur diversité doivent être en mesure de partager leurs idées et superviser les campagnes qui s'adressent directement à leurs communautés. Il n'est plus acceptable que des hommes blancs dictent quoi que ce soit à des consommateurs qui ne leur ressemblent pas. Alors que Benetton reste tristement célèbre pour ses nombreux exemples à ne pas suivre au cours du dernier millénaire, en 2020, il est encore possible, malheureusement, pour une marque de faire les mêmes erreurs.

Avant de lancer une campagne célébrant la diversité au sein votre entreprise, voici 3 questions à vous poser :

1.) Des personnes employées dans votre société font-elles parties de la communauté que vous ciblez avec votre campagne ? Ont-elles été incluses et sollicitées avant ce projet ?

2.) Existe-t-il une personne extérieure à votre entreprise qui pourrait être chargée de mener de cette initiative et qui pourrait vous conseiller sur les meilleures façons d'engager la communauté que vous visez d'une façon sensible et efficace ?

3.) Si on analysait les différentes politiques éthiques de votre marque dans le détail, outre votre initiative, trouverait-on que le message que vous voulez faire passer est à l'image des valeurs de la marque et de l’envers du décor ; ou découvrirait-on qu'il s'agit d’un engagement de façade ?

Prêt(e) à développer un marketing d’influence plus performant ?