Traackr s’est associé à Olivier Cimelière pour cet entretien, qui fait partie de notre série “Influencer Marketing at Scale” à laquelle participent également Scott Guthrie au Royaume-Uni et Mark Schaefer aux Etats-Unis.
L’Oréal a beau être un vénérable groupe séculaire. Il ne s’en est pas moins vite emparé du sujet de l’influence digitale qui bouge les lignes du marketing et de la communication des marques auprès des consommateurs. Pour Traackr, Olivier Cimelière a rencontré Marc Duquesnoy, Social Media Performance Director dans la Global CDO Team du L’Oréal Group, pour évoquer comment le leader mondial de la beauté développe et conçoit des dispositifs en ligne avec les influenceurs dans 150 pays où l’entreprise compte plus de 250 millions d’abonnés à ses réseaux sociaux*.
Avec 38%* de ses investissements média consacrés au digital, L’Oréal en a fait un axe majeur de sa stratégie de communication et marketing. Il n’en demeure pas moins que l’exercice reste un enjeu de haute volée pour un portefeuille de 34 marques* aux valeurs, aux positionnements et aux cœurs de cible différents d’un marché à l’autre et d’une génération à l’autre. Il s’agit en effet de concilier cohérence globale, pertinence locale pour obtenir un maximum d’impact relationnel avec les influenceurs et leurs communautés.
[OC] Pourquoi et comment le marketing d’influence est devenu l’une des priorités de la stratégie digitale de L’Oréal ?
[MD] L’influence avec notre écosystème a toujours été intrinsèque à l’activité de L’Oréal. Bien avant que le digital ne redistribue les cartes, les coiffeurs ont constitué les premiers influenceurs pour recommander nos produits auprès de leurs clients. Ensuite, la presse magazine, les leaders d’opinion ou encore les célébrités sont devenus à leur tour autant de leviers d’influence pour nourrir ce bouche-à-oreille qui demeure fondamental dans l’appréciation de nos marques. L’émergence rapide des influenceurs digitaux nous a naturellement conduits à une extension de notre stratégie de marketing et de communication.
Ces influenceurs confèrent une légitimité supplémentaire et un relais de confiance auprès des consommateurs. C’est d’autant plus important que ces derniers se montrent de plus en plus critiques envers les publicités trop classiques et certains discours commerciaux des marques, tout en étant également mieux informés, notamment par le contenu produit par ces influenceurs. Ceci étant dit, leur rôle ne se réduit pas uniquement à cette dimension. Les influenceurs créent et relaient des tendances sur le marché de la beauté, font et défont la réputation des marques, et peuvent même lancer leurs marques propres. Sur le marché, on a ainsi pu voir depuis quelques années l’accélération des Digital Native Brands qui mettent le social et l’influence au cœur de leurs stratégies de communication. C’est le cas par exemple de l’actrice et mannequin Kylie Jenner qui s’est associé avec la ligne de produits cosmétiques Nip + Fab uniquement disponible en ligne et promue via les médias sociaux. Je pourrais encore citer la marque de maquillage Anastasia Beverly Hills qui s’est construite sur l’influence sociale de sa créatrice, ou encore des marques qui ont rejoint notre groupe comme Urban Decay ou Nyx Professional Make-Up.
Pour nous, il est essentiel d’être actif au sein de ces communautés et auprès des influenceurs qui font autorité. A partir de son territoire d’expression et de ses cibles, chaque marque opère un travail d’identification et de catégorisation des influenceurs. D’un segment de marché ou d’un pays à l’autre, cette cartographie peut évidemment varier. Mais en gros, nous distinguons deux types d’influenceurs :
[OC] Comment est organisée la stratégie de marketing d’influence sachant que le groupe L’Oréal possède un portefeuille de 34 marques et est implanté dans 150 pays ? Comment gère-t-on une telle complexité face à des réalités de marchés pouvant varier d’une région à une autre ?
[MD] Les rôles sont répartis de manière précise mais aussi pragmatique. La Direction Marketing International a pour charge de développer et de cadrer la plateforme d’image pour chaque marque via des règles et des guidelines à suivre au niveau des marchés locaux. Elle est également amenée à gérer en direct certains influenceurs mondiaux et des figures de proue à vocation internationale. C’est par exemple le cas avec L’Oréal Paris qui vient d’enrôler en mai 2018, l’actrice française Louise Bourgoin comme ambassadrice de la marque. Quelques jours avant, Isabelle Adjani a également rejoint ce cercle et l’a révélé via son propre compte Instagram.
En revanche, le développement et la consolidation de l’engagement avec les influenceurs et leurs communautés relève du local pour l’essentiel entre les équipes Marketing, Communication et Digital en fonction des objectifs de la marque et de ses critères. Pour illustrer mon propos, je vais citer les Face Awards de la marque de maquillage NYX Professional Make-Up. Depuis trois ans et dans différents pays, celle-ci propose à des amateurs et à des professionnels d’inventer des maquillages sur des thèmes donnés et les poster sur YouTube et Instagram. Les meilleurs sont récompensés par un jury de représentants de L’Oréal et d’influenceurs locaux et se retrouvent ensuite dans une finale mondiale aux Etats-Unis. C’est aussi un bel exemple de synergie entre l’équipe globale et les marchés locaux.
L’articulation entre global et local est clé à l’ère des réseaux sociaux. A nouveau, Le niveau global impulse des initiatives comme le « YSL Beauty Club », un concept de club de nuit éphémère et itinérant à travers le monde, doublé d’une boutique en ligne. Les coulisses de l’événement sont principalement relayées sur Instagram avec l’appui des équipes locales concernées. Aujourd’hui, Londres, Los Angeles, Berlin et Paris ont déjà accueilli le « Yves Saint Laurent Beauty Club ». C’est un énorme succès, totalement cohérent avec l’image de marque.
[OC] Si l’on vous comprend bien, une grande liberté reste possible en matière de marketing d’influence au sein de l’Oréal. N’est-ce pas parfois un risque de déperdition des budgets ou de dissolution des messages ?
[MD] Imposer de but en blanc une structure rigide pour chaque marque partout et en permanence ne s’inscrit pas dans la culture de L’Oréal. Celle-ci a toujours veillé à laisser une part prépondérante à l’initiative et à la pertinence des organisations suivant les business models des marques. Pour autant, cela ne signifie pas que chacun travaille selon son inventivité du moment ! Chaque marque définit sa manière de travailler et de définir les contenus qui vont nourrir son marketing d’influence. Hormis quelques marques spécifiques d’envergure mondiale, c’est surtout au niveau de la gouvernance locale que l’effort de structuration est crucial. Il y a d’abord besoin d’avoir une granularité pointue en termes de connaissance des influenceurs et de capacité à évaluer leur potentiel d’influence sur tel ou tel sujet. Cette approche est fondamentale pour limiter les chevauchements de territoires d’expression entre influenceurs mais aussi pour éviter la surenchère de messages qui brouille l’impact et n’optimise pas forcément les budgets alloués. C’est en cela qu’une plateforme comme Traackr constitue un atout précieux. Cela nous aide à affiner notre compréhension de l’écosystème local, à mieux valoriser les profils d’influenceurs vraiment intéressants et à mieux calibrer les ressources budgétaires. Cette gestion est capitale. Elle nous permet d’anticiper, de suivre les actions et de mesurer le ROI pour chaque pays.
[OC] Quelles sont les équipes prioritairement impliquées dans les dispositifs de marketing d’influence ?
[MD] Il n’y a pas de hiérarchie spécifique mais on retrouve à chaque fois, la Communication, le Digital et le Marketing :
Sur ces chantiers, nous avons également des agences qui nous accompagnent et nous conseillent pour optimiser les opérations.
[OC] En quoi cette relation directe est-elle importante pour les marques de L’Oréal ?
[MD] Pour nous, il est fondamental de bien comprendre l’audience de nos influenceurs. Quelles sont les attentes et les usages de sa ou ses communauté(s) ? C’est en disposant de ce niveau de profondeur que nous pouvons affiner le ciblage de nos clients en fonction de sa journée type. Celle-ci s’articule par exemple autour de 4 critères : Awareness (la notoriété de la marque), Consideration (la crédibilité ou persuasion de la marque), Purchase (l’acte d’achat) et Recommandation (le bouche-à-oreille et la fidélisation).
En fonction de la perception et des enjeux qu’une marque a sur un marché donné, nous allons alors mettre plus ou moins l’accent sur un ou plusieurs critères avec des actions digitales et off-line dédiées. Toutefois, je constate qu’avec le digital qui pousse à l’intégration de tous les usages, l’impact de l’influence peut très rapidement accélérer la consumer journey. Sur Instagram par exemple, le consommateur peut connaître le prix d’un produit. S’il est convaincu, il peut directement cliquer sur un lien e-commerce.
[OC] Quels sont à votre avis les enjeux clés à venir sous peu pour le marketing d’influence ?
[MD] A mon sens, on peut distinguer trois sujets déjà actuels mais qui vont s’intensifier :
Au-delà de ces trois sujets, l’innovation va continuer d’être essentielle pour se singulariser. L’utilisation des influenceurs commence à devenir parfois galvaudée autant chez eux que chez certains annonceurs. Or, il convient de s’appuyer sur des influenceurs authentiques. Le consommateur ne s’y trompe de toute façon pas. Cela implique pour nous de trouver de nouveaux modes d’activation attirants et authentiques pour convaincre les influenceurs de travailler ensemble. Cela peut par exemple se traduire par le co-développement d’une marque sur le long terme. Il s’agit vraiment de ne pas s’éparpiller mais plutôt de suivre la formule : « fewer but bigger » !
[OC] Comment parvient-on à établir des stratégies d’influence pour des marques qui appartiennent toutes au groupe L’Oréal mais qui évoluent souvent dans des univers éloignés les unes des autres ?
[MD] Pour y parvenir, je répète ce que j’ai dit précédemment : bien connaître le business model et l’écosystème spécifique à chaque marque permet de définir un ciblage cohérent avec des actions pertinentes. Prenons La Roche Posay qui est une marque dermatologique. Son cœur de cible est à la fois B2B avec les professionnels de santé et B2C avec des consommateurs qui ont des peaux sensibles, voire atopiques. Parmi eux, il s’agit de détecter les influenceurs les plus idoines et d’imaginer les actions marketing qui ont du sens. En revanche, il ne convient pas de répliquer d’une marque à l’autre. La marque Lancôme par exemple est beaucoup plus statutaire et appuyée par des égéries reconnues dans l’univers du luxe. En mars 2018, c’est pour cette raison que la blogueuse star Chiara Ferragni est devenue le nouveau visage de la maison Lancôme au plus grand bonheur de ses fans du monde entier. Autre exemple avec Kiehl’s, la marque cosmétique américaine. Là, le local revêt une dimension importante car c’est dans le direct retail (boutique en propre) que la marque axe l’expérience consommateur. Cela suppose donc à chaque fois de se poser les bonnes questions, d’écouter les médias sociaux et de construire ensuite une stratégie marketing d’influence qui fait sens.
Ceci dit, le marketing d’influence peut aussi provenir du sein de l’entreprise. Chez L’Oréal, nous avons notamment lancé en avril dernier, Seed Phytonutrients, une nouvelle marque de beauté qui fait de la responsabilité environnementale locale son ADN et de la graine son ingrédient phare. Avec trois autres collaborateurs, Shane Wolf, Directeur Général de marques chez L’Oréal mais aussi fermier, en est le concepteur et désormais la figure de proue pour promouvoir la gamme. L’humanisation est en fin de compte la véritable influence !
Olivier Cimelière est le président fondateur d’Heuristik Communications, un cabinet de conseil en stratégie de communication, gestion de réputation et d’influence éditoriale pour dirigeants et entreprises. Ancien journaliste en presse écrite et en radio, il a ensuite exercé des responsabilités en communication corporate au sein de grandes entreprises internationales comme Bœhringer Ingelheim, Nestlé Waters, Ericsson, Google et Ipsos.
*Source chiffres : Site corporate du groupe L’Oréal