La première partie de notre entretien autour des enjeux du marketing d’influence dans le luxe avec Anthony Rochand et Jérôme Monange.
Il existe une relation historique entre marques de luxe et influence. Avec le phénomène de globalisation des marques leaders, aujourd’hui placées sous l’égide de grands groupes tels que LVMH, Richemont ou Kering, l’élargissement de la base de clients fortunés, et surtout, l’avènement du web 2.0, le secteur du luxe se (re)tourne de plus en plus vers la version contemporaine de ce qui a fait leur succès : le marketing d’influence.
Afin d’en apprendre davantage, nous avons posé quelques questions à Anthony Rochand, Président et co-fondateur de Les Experts du Web et Jérôme Monange, fondateur du Lab Luxury and Retail et intervenant en marketing et communication auprès de Studio Mode Paris et ISG Paris.
Etant donné la richesse de leurs réponses, et pour ne rien en perdre, nous avons scindé les points abordés autour de deux thèmes principaux : comment le marketing d’influence transforme l’industrie du luxe, et les spécificités de la collaboration avec l’influenceur luxe. Découvrez ci-dessous la première partie.
AR : Le niveau de maturité des marques n'est pas encore à son maximum, elles sont encore un peu en retrait sur le sujet de l'influence 2.0, mais une prise de conscience se fait. En effet, les consommateurs étant de moins en moins sensibles à la publicité, les marques doivent penser à d'autres leviers, comme le marketing d'influence sur les plateformes sociales. Il s'agit d'un véritable point d'entrée pour établir une relation gagnante entre les consommateurs et les marques, et permet ainsi d’établir un contact privilégié.
JM : Il existe un contexte général pour les marques de luxe historiques différent de celui des marques de luxe émergentes ou plus récentes lié à l’appréhension même du contexte de la transformation numérique. En effet les marques historiques doivent apprendre à perdre leur posture de communication verticale et à sens unique, « je suis une marque », je communique de manière unidirectionnelle et suis la seule à maîtriser ce discours de marque. Car le web 2.0 a mis en valeur d’autres relais d’opinion, notamment via les réseaux sociaux, comme les blogueurs, les fans de la marque, et les clients qui sont devenus acteurs en termes d’émission de messages, de commentaires, voire de contenus.
A contrario, certaines marques de luxe, notamment les plus récentes (contemporaines de leurs clients), et certains secteurs comme celui de la beauté, ont intégré récemment où dès leur naissance les gènes de leurs cibles et relais (la génération Y), et ont compris que la communication n’était plus ni unidirectionnelle ni forcément directe, car là est bien l’enjeu réel.
En effet, le lâcher prise qui correspond à la perte du contrôle sur sa communication et/ou son marketing, pour la confier en partie à un tiers externe qui va relayer où porter le message, nécessite une notion de maturité et de confiance au cœur même de la notion de transformation numérique d’une entreprise qui dépasse ici les seuls « silos » (qui ne devraient d’ailleurs plus exister) de la communication et du marketing...
AR : C'est un levier qui devient finalement un challenge important pour une marque de luxe, car il engendre une véritable maîtrise du contenu, et donc une stratégie de brand content dans son ensemble. Le marketing d'influence fait évoluer les codes et modifie profondément la façon d'aborder le marketing. Le marketing d'influence permet non seulement d'améliorer la notoriété de la marque, l'e-réputation, ou encore l'amélioration du CA ; tout est une question d'objectif.
JM : Le marketing d’influence ne peut être décorrélé d’une réflexion et d’une démarche internes liées à la transformation numérique en général (d’ailleurs il serait intéressant de vérifier la date de naissance réelle de la notion de « marketing d’influence », qui serait une des facettes contemporaine de la notion de buzz marketing ), car nous allons ici bien plus loin que la notion de marketing qui influence.
Nous parlons ici d’une pratique marketing transverse en interne, qui fait travailler ensemble marketing et communication, et qui inclut du participatif : la cible même qui devient l’acteur ou le vecteur d’image et de message. Peut-être pouvons-nous secrètement espérer que le marketing d’influence puisse ainsi devenir un ou le cheval de Troyes de la transformation numérique des marques de luxe !? Son premier rôle serait interne et comme le disait une publicité connue, ce qu’il fait à l’intérieur se verrait ainsi à l’extérieur !
En externe, le marketing d’influence permet de rapprocher la marque de ses clients, mais aussi de communautés identifiées qui seraient plus difficilement accessibles, car désormais perméables au marketing traditionnel. Il devient donc un lien de connexion essentiel en direction des millénnials bien sûr, cible majeure de développement du luxe dans les années à venir. Il permet de reprendre en partie son discours de marque et d’établir une conversation sur les réseaux sociaux où plus de 78% des acheteurs du secteur luxe sont désormais présents (étude Blackstone Digital Agency) pour assurer une autre manière de promouvoir son image et ses produits.
N’oublions pas au-delà du rôle de l’influenceur, le rôle même de sa communauté qui peut devenir à son tour prescriptrice et génératrice de recommandations ou avis favorables sur la marque grâce à l’interactivité permanente du web (le marketing d’influence nouveau pilier du buzz marketing ...). Cette communication sociale peut être renforcée aussi par les dimensions communautaires et statutaires de l’image du luxe.
AR : La gestion de la relation avec les influenceurs est un défi de premier ordre pour les marques de luxe, et c'est la pierre angulaire d'une campagne de marketing d'influence. En effet, il est nécessaire de prodiguer une grande qualité pour les programmes influenceurs, et le maintien de la relation intervient ici comme une priorité. La relation n'est pas dans une dimension “one shot” mais bien sur du long terme, et les marques doivent en être conscientes afin de collaborer de la meilleure façon avec les influenceurs. Se doter d'outils technologiques efficients est un autre défi, l'identification et le recensement des influenceurs pertinents pour la marque étant une entrée en matière à ne pas rater. Utiliser des méthodes traditionnelles via un tableur Excel ne suffit plus, les usages tendent à être plus professionnels, et c'est une nécessité de regarder du côté des plateformes d'influence, ou encore des plateformes de veille social media.
JM : On l’a vu précédemment, le défi est de savoir perdre une partie du contrôle sur sa communication de marque, ce qui est la réflexion même à la base du marketing d’influence.
Une série d’étapes doit ensuite être franchie :
Au-delà de ces questions de méthodologies se posent des questions de stratégies pour les marques de luxe. Six ventes sur 10 sont en effet aujourd’hui influencées par le Web dans le secteur du luxe (Boston Consulting group 2016). D’autre part, les changements de comportement consommateurs liés à l’achat du luxe subissent un véritable bouleversement avec la montée en puissance des achats provenant des millennials et des nouveaux consommateurs de luxe des pays émergents qui changent à jamais la consommation du luxe. Par exemple en France, 76% des clients du luxe ont commandé au moins une fois en ligne et 25% achètent désormais sur mobile (source Matchesfashion. com 2017).
Curieux d’en savoir plus sur la façon dont les marques de luxe collaborent avec les influenceurs ? Découvrez la seconde partie de cette interview croisée, ou téléchargez dès à présent notre livre blanc Marketing d’Influence - Les 9 Défis des Marques de Luxe.